Ni Guru ni Maître… Ces quelques mots, souvent prononcés par Jean Dubuis, traduisent clairement la façon dont il conçoit sa mission : désocculter la connaissance et la transmettre dans un esprit de liberté, proposer des outils pour marcher dans le sens de son Devenir, rappelant que pour comprendre Le Grand Livre de la Nature, deux choses sont nécessaires : « une tête bien faite et un coeur généreux ». Il invite au « Ora et Labora » (« médite et travaille »). Ainsi, est toujours sienne la devise du Bouddha Gauthama : "Ne crois rien parce qu'on t'aura montré le témoignage écrit de quelque sage ancien. Ne crois rien sur l'autorité des Maîtres ou des Prêtres. Mais ce qui s'accordera avec ton expérience et après une étude approfondie satisfera ta raison et tendra vers ton bien cela tu pourras l'accepter comme vrai et y conformer ta vie".

samedi 16 juin 2007

Passe sans Porte, an 1229, 48 kôan anciens, Règle 2/48.- PO - TCHANG ET LE RENARD















Règle 2. - PO-TCHANG ET LE RENARD

Chaque fois que le précepteur Po-tchang fait son sermon, il y a dans l'auditoire un vieil homme qui l'écoute. Quand tous se retirent, ce vieil homme se retire aussi. Mais, un jour il ne s'en alla pas. Alors, le maître lui demanda :
« Qui est debout devant moi? » Le vieillard dit : « Certes, je ne suis pas un homme. Jadis j'habitais dans cette montagne au temps du Bouddha Kâsyapa (1). Alors un étudiant me demanda si un yogin bien avancé en exer¬cice tomberait aussi dans la causalité. Je lui répondis :
« Il ne tomberait pas dans la causalité. » Cette réponse me fit déchoir et je fus un renard pendant cinq cents vies. Maintenant, Précepteur, dites une parole me convertissant et veuillez me délivrer du renard. » Ayant dit cela, il demanda enfin : « Un yogin bien avancé en exer¬cice tomberait-il aussi dans la causalité? » Le maître dit :
« Il n'obscurcierait pas la causalité. » Sur ce mot, le vieillard réalisa le grand Eveil et, en s'inclinant, il dit :
« Je viens d'échapper à la vie du renard et j'habiterai derrière cette montagne. J'ose vous demander de m'inci¬nérer selon les rites funéraires observés pour la mort d'un moine. » Le maître fit proclamer par son intendant, en frappant les claquoirs, qu'après le repas auraient lieu les funérailles d'un moine. Les moines discutèrent : Nous sommes tous en bonne santé. Dans l'hôpital aussi il n'y a aucun malade. Pourquoi agit-il ainsi ? » Ainsi, après le repas, le maître arriva sous le rocher derrière la montagne à. la tête du cortège, il tira un renard mort avec sa canne et il l'incinéra selon les rites funéraires. Le soir le maître parut dans la salle et il parla des faits antérieurs. Alors Houang-po lui demanda : « Cet ancien avait répondu à tort par une parole convertissante (2) et il déchut et fut un renard pendant cinq cents vies. S'il ne s'était pas trompé de réponse, en quoi aurait-il dû être changé? » Le maître dit :« Approche-toi ! Je vais le dire pour toi. » Houang-po s'approcha de lui et le frappa. Le maître, tapant des mains, se mit à rire et dit :« Je pensais que la barbe de l'étranger était rouge, et voici, je trouve un étranger à la barbe rouge. »

Réflexions badines de Wou-men

« Il ne tomberait pas dans la causalité. » Pourquoi cette réponse fit-elle déchoir le vieillard et fut-il un renard? « Il n'obscurcierait pas la causalité. » Pourquoi le vieillard se délivra-t-il du renard par cette réponse? Si vous voyez ce sujet d'un oeil incisif, vous comprendrez que le Po¬tchang précédent a obtenu la chance d'une vie raffinée pendant cinq cents vies. Voici mon poème :

Ne pas tomber, ne pas obscurcir.

Deux marques, mais un même dé. .

Ne Pas obscurcir, ne pas tomber.

Mille erreurs, dix mille erreurs.




Notes explicatives

Po-tchang ( 720-814 ) est le premier disciple de Ma¬tsou, avec Nan-ts'iuan. Comme le maître Ma-tsou accom¬pagnait Po-tchang, ils virent un groupe de canards sauva¬ges voler dans les airs et le maître dit :« Qu'est-ce? » Po¬tchang :« Des canards sauvages » - « Vers où volent¬ils ? » - « Ils sont passés en volant. » A ce moment le maître saisit Po-tchang par le nez et le lui tordit. Po¬tchang cria de douleur. Le maître dit : « Pourquoi auraient-ils pu passer en volant ? » Cette action vive du maître ouvrit l'oeil de Po-tchang.

(« Vers où volent-ils? » Cette question de tant d'im¬portance est égale à celle : « Où va-t-on après la mort? A cause de l'insuffisance de la réponse de Po-tchang, Ma¬tsou lui tordit le nez et dit : « Pourquoi auraient-ils pu passer en volant? », montrant par cette parole qu'il n'y a aucun va et vient en Essence.)

Mais le premier mérite de Po-tchang réside dans l'éta¬blissement des règles du monastère Zen. Jusqu'alors les moines Zen vivaient dans des monastères appartenant à l'école du Vinaya (école de la discipline). Bien qu'on ait perdu l'original du livre où Po-tchang donnait la règle détaillée propre au monastère Zen, l'esprit en a été transmis jusqu'à présent. Aux Indes, les moines étaient des men¬diants et ils ne travaillaient pas eux-mêmes; mais il changea cet esprit et il avait pour devise :« Un jour sans travail, un jour sans nourriture. » Au moment où ses disciples eurent du souci pour la santé de leur maître, à cause de son trop grand âge pour travailler au jardin, ils cachèrent tous ses outils de jardinage, car le maître ne voulait pas se rendre à leur avis. Il refusa alors de manger, disant :« Qui ne travaille ne mange. »

Houang-po (mort en 856) est le premier disciple de Po-tchang, avec Kouei-chan. Il éduqua Lin-tsi, fondateur de l'école de Lin-tsi qui est la plus prospère parmi les écoles du Zen actuellement au japon. Jadis il se pro¬menait dans la montagne T'ien-t'ai. En chemin il ren¬contra un moine et parla avec lui comme s'ils avaient été de vieilles connaissances. Ce moine avait des veux de lynx et une physionomie extraordinaire. Ils marchaient ensemble. Rencontrant un torrent en crue, ils s'arrêtèrent. Mais ce moine voulait le traverser avec Houang-po, en le conduisant. Celui-ci dit :« Je vous prie de le traver¬ser d'abord. » Alors ce moine, retroussant son habit, le traversa sur les vagues comme s’ il avait foulé la terre . Se retournant, il dit : « Traversez ! Traversez ! » Houang-po le gourmanda :« Quel égoïste ! Si j'avais su que vous étiez un monstre, je vous aurais coupé les jambes. » Ce moine l'admira :« Vous êtes un vrai religieux du Mahâyâna (Grand Véhicule) ! » Avant dit cela, il disparut.

Un jour Houang-po était en train de se prosterner face à la statue du Bouddha. Le regardant, Ta-tchong lui demanda : « On ne doit pas chercher le Bouddha, en s'y attachant. On doit pas chercher la Loi, en s'y attachant. On ne doit pas chercher les ignorants, en s'y attachant. Que cherchez-vous au juste par les prosternations? » Po dit : « Je ne cherche pas le Bouddha, en m'y attachant. Je ne cherche pas la Loi, en m'y attachant. Je ne cherche pas les ignorants, en m'y attachant. Mais je fais toujours des prosternations ainsi. » Ta-tchong dit « A quoi pour¬raient servir les prosternations? » Alors Po le frappa. - Ta-tchong : a Comme cet homme est grossier! »- Po : « Y aurait-il la distinction entre grossier et subtil en ce cas-là ? » Ayant dit, Po le frappa encore.

(Dans ces deux exemples on peut voir que le Zen n'estime pas du tout le miracle et, aussi, que l'action vive, telle que de frapper, n'est pas en contradiction avec l'humilité. Il y a dans l'école du Zen la devise :« Fouler la tête du Bouddha par la volonté, mais se prosterner aux pieds du petit enfant par l'action. »)

Takuan (1573-1645), Zéniste japonais, explique cette Règle 2 brièvement : « Bien qu'un voie évidemment la causalité efficace, on se délivre de la causalité. Si l'on voit que, puisqu'il n'y a pas la cause originellement, il n'y a pas non plus le fruit à détruire, c'est le Véhicule du bouddhisme. Si, voyant le monstre, on ne le voit pas monstrueux, il perd de lui-même cet aspect de monstruo¬sité. Si, voyant la causalité, on ne la voit pas causale, elle perd d'elle-même cet aspect de causalité. » Il suffit de ce commentaire court pour comprendre la significa¬tion de cette Règle théâtrale. La question, pendant la soirée, de Houang-po est celle posée par celui qui a com¬pris jusqu'au fond cette vérité de la causalité. Po-tchang, disant : « Approche-toi », voulait le frapper pour fendre à la racine les complications détournées. Mais, Houang-po, de son côté, frappa son maître. Le grand rire du maître Po-tchang est une louange. Jadis, il y avait un brigand étranger à la barbe rouge. Les Zénistes emploient le mot : « brigand » pour louer l'activité du maître qui arrache l'égarement à l'étudiant. Ici Po-tchang vante en riant la grande action de Houang-po par « Je pensais que la barbe de l'étranger était rouge, et voici je trouve un étranger à la barbe rouge ». En même temps, par les deux précé¬dentes expressions, différentes, mais de même sens, il exprima « Deux marques, mais un même dé » de « Ne pas tomber, ne pas obscurcir ».

Dans les réflexions badines de Wou-men, le Po-tchang précédent - signifie ce vieillard qui fut un renard pendant cinq cents vies. Mais pour le vrai Zéniste même ces vies déchues sont raffinées, élégantes, poétiques. Dans le poème de Wou-men, les deux premiers vers représentent le point de vue de l'éveillé; les deux derniers celui de l'ignorant. Pour l'éveillé, « ne pas tomber » ou « ne pas obscurcir », sont correctes l'une et l'autre. Pour l'ignorant, que ce soit « ne pas obscurcir » ou « ne pas tomber », les deux répon¬ses sont erronées.

(1) Le Bouddha Kâsyapa. Le Bouddha Sakyamuni parla sur les six autres Bouddhas qui l'ont précédé : Vipasyin, Sikhin, Visvabhü, Krakucchanda, Kanakamuni et Kâsyapa. L'idée de généalogie est commune dans les religions anciennes : le confucianisme, le taoïsme ou même le christianisme. Dans le bouddhisme, bien que les Bouddhas du passé soient innombrables, pour se conformer à la coutume mon¬daine de rendre un culte aux ancêtres de sept générations il prêche ces sept Bouddhas.
(2) Une parole convertissante, une parole qui convertit l'ignorant de l'illusion en Eveil.

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