Ni Guru ni Maître… Ces quelques mots, souvent prononcés par Jean Dubuis, traduisent clairement la façon dont il conçoit sa mission : désocculter la connaissance et la transmettre dans un esprit de liberté, proposer des outils pour marcher dans le sens de son Devenir, rappelant que pour comprendre Le Grand Livre de la Nature, deux choses sont nécessaires : « une tête bien faite et un coeur généreux ». Il invite au « Ora et Labora » (« médite et travaille »). Ainsi, est toujours sienne la devise du Bouddha Gauthama : "Ne crois rien parce qu'on t'aura montré le témoignage écrit de quelque sage ancien. Ne crois rien sur l'autorité des Maîtres ou des Prêtres. Mais ce qui s'accordera avec ton expérience et après une étude approfondie satisfera ta raison et tendra vers ton bien cela tu pourras l'accepter comme vrai et y conformer ta vie".

vendredi 1 janvier 2010

Passe sans Porte, an 1229, 48 kôan anciens, Règle 5/48: HIANG-YEN ET L'ARBRE














Le précepteur Hiang-yen dit :

« C'est comme un homme juché sur un arbre :

il se tient par les dents à une branche sans la saisir des mains ni toucher l'arbre avec ses pieds. Supposons qu'un autre homme situé sous cet arbre lui demande :

« Quel est le sens de la venue en Chine du premier Patriarche? »

Si cet homme ne fournit aucune réponse, il contrevient à l'attente du questionneur. S'il répond, il perd la vie. A ce moment-là, quelle réponse doit-il donner?

Même l'éloquence semblable au torrent est tout à fait inutile. Même si l'on peut prêcher le grand dogme du bouddhisme, c'est aussi inutile. Si vous pouvez répondre à ce sujet, vous pourrez faire renaître la voie morte antérieure et détruire la voie vivante antérieure. Sinon, attendez l'arrivée de Maitreya (i) et demandez-lui. Voici mon poème :

Hiang-yen est vraiment peu soigneux.
Son venin est inépuisable.
Il rend le moine muet,
Fait jaillir des yeux des démons de tout son corps.


Notes explicatives :

Au début, Hiang-yen était sous la direction de Potchang, mais celui-ci mourut avant que Hiang-yen eût pénétré la vérité du Zen. Il alla donc auprès de Kouei-chan (771-853), l'un des premiers disciples de Potchang. Kouei-chan lui demanda :

«J'entends dire que tu avais l'intelligence particulièrement prompte parmi les moines sous la direction de mon maître défunt. Cependant la compréhension intellectuelle ne sert en rien à la délivrance de la naissance et de la mort. Je laisse de côté toutes tes études poursuivies jusqu'à présent. Dis-moi un mot sur ton Visage originel, avant d'être né de tes parents. »

Ainsi interrogé, Hiang-yen ne sut que répondre. Il se retira dans sa cellule pour examiner soigneusement ses livres et notes qu'il avait étudiés. Mais il ne put y trouver une phrase susceptible d'être présentée à son maître; il rencontra donc,celui-ci, l'implorant pour qu'il lui enseignât la vérité profonde du Zen. Alors, le maître lui répondit :

« Si j'essayais de t'expliquer le Zen, tu aurais plus tard l'occasion de te moquer de moi. De plus, tout ce que je pourrais t'enseigner est de ma compréhension et non de la tienne. »

Ainsi, il lui refusait tout enseignement. Hiang-yen fut déçu et se trouva dans une impasse. En fin de compte, il brûla tous ses livres et toutes ses notes, en décidant d'abandonner l'étude du bouddhisme, de se retirer complètement du monde et de passer le reste de sa vie comme simple moine. De suite, il alla faire ses adieux à son maître. Celui-ci lui dit froidement :

« Fais comme tu veux !

Ainsi, Hiang-yen a perdu l'attachement à son entendement et l'orgueil de sa sagesse. Sans doute, est-ce le point de départ du processus religieux. Mais, surtout, je crois qu'on peut être quelque peu surpris par l'attitude rigide du maître du Zen pour guider son disciple. Un proverbe de l'école du Zen dit :

« La petite compassion empêche la grande miséricorde. L'attitude d'aspect impitoyable de Kouei-chan a obligé Hiang-yen à approfondir jusqu'au bout le Zen. Sans cette attitude du maître, son disciple se serait arrêté à mi-chemin.

Hiang-yen quitta Kouei-chan et construisit une hutte près de la tombe du maître national Houei-tchong à Nanyang. Bien qu'il se fût retiré du monde, il ne pouvait se soustraire au problème. Un jour, tandis qu'il balayait, il projeta un caillou contre un bambou. Au moment où le son jaillit, il réalisa le grand Eveil. Il trouva son Visage originel, avant d'être né de ses parents. En hâte, il rentra dans sa hutte, il purifia son corps par un bain et il s'inclina de loin devant son maître Kouei-chan en brûlant de l'encens. Il tomba en adoration, disant :

« Le bienfait de la grande miséricorde de mon maître surpasse celle de mes parents. S'il m'avait jadis expliqué la vérité du Zen à ma demande, je ne pourrais pas connaître l'Eveil aussi pleinement qu'aujourd'hui. »

Et il composa la poésie suivante :

« Par un choc j'oublie mes connaissances antérieures,
Je n'ai absolument pas besoin de les restaurer.
Dans chaque agissement j'élève la Voie ancienne,
Je ne tombe jamais dans la négation du simple quiétisme.
N'importe où, je ne laisse aucune trace,
Mes sens ne sont Pas entravés par des règles extérieures.
Tous les experts de la Voie dans les provinces
Disent que celui-ci est doué de l'activité suprême. »


De suite, il rentra chez Kouei-chan.

Ayant entendu cette poésie, le maître dit à Yang-¬chan (807-883) :

« Ce disciple a vraiment pénétré dans la Voie! » Yang-chan répondit :

« Ces vers sont la création artificielle d'une pensée réfléchie. Attendez, que j'aie vu moi-même ce qu'il en est. »

Yang-chan rencontra par la suite Hiang-yen et lui dit :

« Notre maître a fait votre éloge parce que vous avez eu l'Eveil, si important ! Expliquez-moi un peu cela pour voir. » Hiang-yen récita de nouveau sa poésie. Yang-chan :

« Ces vers sont l'effet d'une pensée attachée encore aux anciennes imprégnations. Si vous avez eu l' Eveil correct, dites encore quelques mots pour voir. »

Hiang-yen composa alors cette nouvelle poésie :

« L'année passée, ma pauvreté n'était pas encore
[véritable;
C'est seulement de cette année qu'elle est pauvreté.
L'année passée, dans ma pauvreté, j'avais encore l'espace
[de la pointe d'une alêne ;
Cette année, dans ma pauvreté, je n'ai même plus cet
[espace. »


Yang-chan dit :

« Voilà le Zen du Tathâgata !»

Et ils rendirent gloire ensemble à la caractéristique de l'école du grand Kouein-chan.

L'expérience, relatée ci-dessus, de l'impasse de Hiang-yen caractérise expressément la Règle 5 où il pose aux étudiants une antinomie. La question sur le « sens de la venue en Chine du premier Patriarche » est un des thèmes les plus fréquemment formés par le zéniste chinois. Elle signifie :

« quelle est la vérité ultime du Zen trans¬mis en Chine par Bodhidharma ?», ce à quoi le zéniste ne peut manquer de répondre sur l'honneur. Mais, s'il répond, il tombe pour s'écraser en cette Règle. Dans cette impasse antinomique comment répondrez-vous, lecteurs?

La question posée par Hiang-yen du haut de la chaire, le doyen Hou-t'eou (Tête du tigre) sort du rang des auditeurs et dit :

Je ne demande pas dans le cas où on est sur l'arbre, mais je vous prie de me répondre dans le cas où on n'est pas encore sur l'arbre. »

Alors, Hiang-yen rit largement à haute voix. Cet exemple vous donnera quelque suggestion.

Les réflexions badines et le poème de Wou-men donnent l'image réelle du moyen âpre de Hiang-yen qui jette l'étudiant au milieu de la souffrance à un point tel que cela peut faire jaillir des yeux de démons de tout son corps.

« Wou-men qualifie cela de « peu soigneux », par taquinerie. Mais, si l'étudiant ressuscite à travers cette impasse, il aura la grande activité telle qu'il pourrait faire de notre Ignorance sans commencement la Sagesse suprême (faire renaître la voie morte antérieure) et détruire notre idée fausse de l'éveil (détruire la voie vivante antérieure).

Qu'est-ce que le Zen du Tathâgata admis par Yang¬chan?

« L'Ainsi Venu ou Tathâgata », un des dix noms du Bouddha. Le Bouddha vient ici-bas par la Voie de « l'Ainsité »

et, réalisant l'Eveil, enseigne aux ignorants.

« La préface générale de la collection des jugements critiques sur les sources du Zen » de Tsong-mi (780-841) (2) en donne la meilleure explication.

« Bien que l'Essence vraie ne soit ni souillée ni pure et bien qu'elle ne soit pas différente pour le sage ou l'ignorant, il y a une différence de degré dans l'école du Zen, ou peu profond ou profond.

1° Le Zen de l'hérétique. On exerce le Zen par discrimination, en aimant le supérieur et haïssant l'inférieur.

2° Le Zen du vulgaire. Bien qu'on croie d'une façon juste à la cause et au fruit, on exerce le Zen encore par discrimination de l'aimable et du haïssable.

3° Le Zen du petit Véhicule. On exerce le Zen, en comprenant unilatéralement le principe du Vide du Moi.

4° Le Zen du grand Véhicule. On exerce le Zen, en comprenant la vérité exprimée de deux Vides du Moi et de l'objet phénoménal.

5° Le Zen du suprême Véhicule ou le Zen pur du Tathâgata. On comprend instantanément que notre esprit est pur originellement, n'a pas de passions depuis l'origine, est pourvu de lui-même, dès le commencement, de la Nature de la Sagesse sans souillure, et qu'il est lui-même le Bouddha, n'est, enfin, pas différent de celui-ci, et qu'on exerce le Zen, dirigé par cette Connaissance... C'est ce Zen que les maîtres de l'école de Bodhidharma ont transmis successivement. »
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(1) Maitreya, Bodhisattva qui paraîtra ici-bas 5 670 000 000 d' ans après et sauvera le monde d'après la mythologie bouddhique. Wou¬men dit :

« Celui qui est stupide au point de ne pas comprendre le Zen, même après cet enseignement direct de Hiang-yen, doit lambiner jusqu'au temps de Maitreya. »

(2) L'auteur était le quatrième successeur de la Loi de Chen-houei et en même temps maître de l'école du Kegon (Avatamsaka), C'est ainsi qu'il fut le meilleur connaisseur dans l'enseignement doctrinal du bouddhisme parmi les zénistes chinois. Chen-houei était l'un des successeurs du sixième patriarche du Zen :

Houei-neng.

Ses entretiens ont été traduits en français par M. Jacques Gernet
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