Ni Guru ni Maître… Ces quelques mots, souvent prononcés par Jean Dubuis, traduisent clairement la façon dont il conçoit sa mission : désocculter la connaissance et la transmettre dans un esprit de liberté, proposer des outils pour marcher dans le sens de son Devenir, rappelant que pour comprendre Le Grand Livre de la Nature, deux choses sont nécessaires : « une tête bien faite et un coeur généreux ». Il invite au « Ora et Labora » (« médite et travaille »). Ainsi, est toujours sienne la devise du Bouddha Gauthama : "Ne crois rien parce qu'on t'aura montré le témoignage écrit de quelque sage ancien. Ne crois rien sur l'autorité des Maîtres ou des Prêtres. Mais ce qui s'accordera avec ton expérience et après une étude approfondie satisfera ta raison et tendra vers ton bien cela tu pourras l'accepter comme vrai et y conformer ta vie".

samedi 16 juin 2007

Passe sans Porte, an 1229, 48 kôan anciens, Règle 2/48.- PO - TCHANG ET LE RENARD















Règle 2. - PO-TCHANG ET LE RENARD

Chaque fois que le précepteur Po-tchang fait son sermon, il y a dans l'auditoire un vieil homme qui l'écoute. Quand tous se retirent, ce vieil homme se retire aussi. Mais, un jour il ne s'en alla pas. Alors, le maître lui demanda :
« Qui est debout devant moi? » Le vieillard dit : « Certes, je ne suis pas un homme. Jadis j'habitais dans cette montagne au temps du Bouddha Kâsyapa (1). Alors un étudiant me demanda si un yogin bien avancé en exer¬cice tomberait aussi dans la causalité. Je lui répondis :
« Il ne tomberait pas dans la causalité. » Cette réponse me fit déchoir et je fus un renard pendant cinq cents vies. Maintenant, Précepteur, dites une parole me convertissant et veuillez me délivrer du renard. » Ayant dit cela, il demanda enfin : « Un yogin bien avancé en exer¬cice tomberait-il aussi dans la causalité? » Le maître dit :
« Il n'obscurcierait pas la causalité. » Sur ce mot, le vieillard réalisa le grand Eveil et, en s'inclinant, il dit :
« Je viens d'échapper à la vie du renard et j'habiterai derrière cette montagne. J'ose vous demander de m'inci¬nérer selon les rites funéraires observés pour la mort d'un moine. » Le maître fit proclamer par son intendant, en frappant les claquoirs, qu'après le repas auraient lieu les funérailles d'un moine. Les moines discutèrent : Nous sommes tous en bonne santé. Dans l'hôpital aussi il n'y a aucun malade. Pourquoi agit-il ainsi ? » Ainsi, après le repas, le maître arriva sous le rocher derrière la montagne à. la tête du cortège, il tira un renard mort avec sa canne et il l'incinéra selon les rites funéraires. Le soir le maître parut dans la salle et il parla des faits antérieurs. Alors Houang-po lui demanda : « Cet ancien avait répondu à tort par une parole convertissante (2) et il déchut et fut un renard pendant cinq cents vies. S'il ne s'était pas trompé de réponse, en quoi aurait-il dû être changé? » Le maître dit :« Approche-toi ! Je vais le dire pour toi. » Houang-po s'approcha de lui et le frappa. Le maître, tapant des mains, se mit à rire et dit :« Je pensais que la barbe de l'étranger était rouge, et voici, je trouve un étranger à la barbe rouge. »

Réflexions badines de Wou-men

« Il ne tomberait pas dans la causalité. » Pourquoi cette réponse fit-elle déchoir le vieillard et fut-il un renard? « Il n'obscurcierait pas la causalité. » Pourquoi le vieillard se délivra-t-il du renard par cette réponse? Si vous voyez ce sujet d'un oeil incisif, vous comprendrez que le Po¬tchang précédent a obtenu la chance d'une vie raffinée pendant cinq cents vies. Voici mon poème :

Ne pas tomber, ne pas obscurcir.

Deux marques, mais un même dé. .

Ne Pas obscurcir, ne pas tomber.

Mille erreurs, dix mille erreurs.




Notes explicatives

Po-tchang ( 720-814 ) est le premier disciple de Ma¬tsou, avec Nan-ts'iuan. Comme le maître Ma-tsou accom¬pagnait Po-tchang, ils virent un groupe de canards sauva¬ges voler dans les airs et le maître dit :« Qu'est-ce? » Po¬tchang :« Des canards sauvages » - « Vers où volent¬ils ? » - « Ils sont passés en volant. » A ce moment le maître saisit Po-tchang par le nez et le lui tordit. Po¬tchang cria de douleur. Le maître dit : « Pourquoi auraient-ils pu passer en volant ? » Cette action vive du maître ouvrit l'oeil de Po-tchang.

(« Vers où volent-ils? » Cette question de tant d'im¬portance est égale à celle : « Où va-t-on après la mort? A cause de l'insuffisance de la réponse de Po-tchang, Ma¬tsou lui tordit le nez et dit : « Pourquoi auraient-ils pu passer en volant? », montrant par cette parole qu'il n'y a aucun va et vient en Essence.)

Mais le premier mérite de Po-tchang réside dans l'éta¬blissement des règles du monastère Zen. Jusqu'alors les moines Zen vivaient dans des monastères appartenant à l'école du Vinaya (école de la discipline). Bien qu'on ait perdu l'original du livre où Po-tchang donnait la règle détaillée propre au monastère Zen, l'esprit en a été transmis jusqu'à présent. Aux Indes, les moines étaient des men¬diants et ils ne travaillaient pas eux-mêmes; mais il changea cet esprit et il avait pour devise :« Un jour sans travail, un jour sans nourriture. » Au moment où ses disciples eurent du souci pour la santé de leur maître, à cause de son trop grand âge pour travailler au jardin, ils cachèrent tous ses outils de jardinage, car le maître ne voulait pas se rendre à leur avis. Il refusa alors de manger, disant :« Qui ne travaille ne mange. »

Houang-po (mort en 856) est le premier disciple de Po-tchang, avec Kouei-chan. Il éduqua Lin-tsi, fondateur de l'école de Lin-tsi qui est la plus prospère parmi les écoles du Zen actuellement au japon. Jadis il se pro¬menait dans la montagne T'ien-t'ai. En chemin il ren¬contra un moine et parla avec lui comme s'ils avaient été de vieilles connaissances. Ce moine avait des veux de lynx et une physionomie extraordinaire. Ils marchaient ensemble. Rencontrant un torrent en crue, ils s'arrêtèrent. Mais ce moine voulait le traverser avec Houang-po, en le conduisant. Celui-ci dit :« Je vous prie de le traver¬ser d'abord. » Alors ce moine, retroussant son habit, le traversa sur les vagues comme s’ il avait foulé la terre . Se retournant, il dit : « Traversez ! Traversez ! » Houang-po le gourmanda :« Quel égoïste ! Si j'avais su que vous étiez un monstre, je vous aurais coupé les jambes. » Ce moine l'admira :« Vous êtes un vrai religieux du Mahâyâna (Grand Véhicule) ! » Avant dit cela, il disparut.

Un jour Houang-po était en train de se prosterner face à la statue du Bouddha. Le regardant, Ta-tchong lui demanda : « On ne doit pas chercher le Bouddha, en s'y attachant. On doit pas chercher la Loi, en s'y attachant. On ne doit pas chercher les ignorants, en s'y attachant. Que cherchez-vous au juste par les prosternations? » Po dit : « Je ne cherche pas le Bouddha, en m'y attachant. Je ne cherche pas la Loi, en m'y attachant. Je ne cherche pas les ignorants, en m'y attachant. Mais je fais toujours des prosternations ainsi. » Ta-tchong dit « A quoi pour¬raient servir les prosternations? » Alors Po le frappa. - Ta-tchong : a Comme cet homme est grossier! »- Po : « Y aurait-il la distinction entre grossier et subtil en ce cas-là ? » Ayant dit, Po le frappa encore.

(Dans ces deux exemples on peut voir que le Zen n'estime pas du tout le miracle et, aussi, que l'action vive, telle que de frapper, n'est pas en contradiction avec l'humilité. Il y a dans l'école du Zen la devise :« Fouler la tête du Bouddha par la volonté, mais se prosterner aux pieds du petit enfant par l'action. »)

Takuan (1573-1645), Zéniste japonais, explique cette Règle 2 brièvement : « Bien qu'un voie évidemment la causalité efficace, on se délivre de la causalité. Si l'on voit que, puisqu'il n'y a pas la cause originellement, il n'y a pas non plus le fruit à détruire, c'est le Véhicule du bouddhisme. Si, voyant le monstre, on ne le voit pas monstrueux, il perd de lui-même cet aspect de monstruo¬sité. Si, voyant la causalité, on ne la voit pas causale, elle perd d'elle-même cet aspect de causalité. » Il suffit de ce commentaire court pour comprendre la significa¬tion de cette Règle théâtrale. La question, pendant la soirée, de Houang-po est celle posée par celui qui a com¬pris jusqu'au fond cette vérité de la causalité. Po-tchang, disant : « Approche-toi », voulait le frapper pour fendre à la racine les complications détournées. Mais, Houang-po, de son côté, frappa son maître. Le grand rire du maître Po-tchang est une louange. Jadis, il y avait un brigand étranger à la barbe rouge. Les Zénistes emploient le mot : « brigand » pour louer l'activité du maître qui arrache l'égarement à l'étudiant. Ici Po-tchang vante en riant la grande action de Houang-po par « Je pensais que la barbe de l'étranger était rouge, et voici je trouve un étranger à la barbe rouge ». En même temps, par les deux précé¬dentes expressions, différentes, mais de même sens, il exprima « Deux marques, mais un même dé » de « Ne pas tomber, ne pas obscurcir ».

Dans les réflexions badines de Wou-men, le Po-tchang précédent - signifie ce vieillard qui fut un renard pendant cinq cents vies. Mais pour le vrai Zéniste même ces vies déchues sont raffinées, élégantes, poétiques. Dans le poème de Wou-men, les deux premiers vers représentent le point de vue de l'éveillé; les deux derniers celui de l'ignorant. Pour l'éveillé, « ne pas tomber » ou « ne pas obscurcir », sont correctes l'une et l'autre. Pour l'ignorant, que ce soit « ne pas obscurcir » ou « ne pas tomber », les deux répon¬ses sont erronées.

(1) Le Bouddha Kâsyapa. Le Bouddha Sakyamuni parla sur les six autres Bouddhas qui l'ont précédé : Vipasyin, Sikhin, Visvabhü, Krakucchanda, Kanakamuni et Kâsyapa. L'idée de généalogie est commune dans les religions anciennes : le confucianisme, le taoïsme ou même le christianisme. Dans le bouddhisme, bien que les Bouddhas du passé soient innombrables, pour se conformer à la coutume mon¬daine de rendre un culte aux ancêtres de sept générations il prêche ces sept Bouddhas.
(2) Une parole convertissante, une parole qui convertit l'ignorant de l'illusion en Eveil.

mardi 12 juin 2007

Passe sans Porte, an 1229, 48 kôan anciens














QUID D' UN KOAN ?


" Le Kôan est un problème que le maître donne à résoudre aux étudiants. Il signifie littéralement « document public » ; le zéniste a emprunté ce mot officiel, car le kôan sert à éprouver l'authenticité de l'illumination qu'un étudiant prétend avoir atteinte. Si l'on réussit à résoudre clairement ces kôan, l'illumination est juste. Sinon, on est atteint d'une maladie mentale et l'on tombe dans une ornière. Donc, le kôan n'est pas une simple énigme; au contraire, il est indispensable pour approfondir l'exercice jusqu'au point ultime et pour enrichir cette Illumination des divers aspects de la Vérité. Bien que I' Absolu soit un, il a beaucoup d'aspects divers non obtention, instantanéité, éternité, mon Visage originel, non-souillé, créateur, liberté absolue etc. Des kôan assez nombreux doivent être établis pour L'éclairer sous ces divers aspects. Surtout, quand on prête attention à l'état psychologique du disciple et aux stratagèmes du maître pour que celui-ci puisse arriver à l'Eveil, on peut étudier dans ces kôan la psychologie profonde de l'homme. A ce point de vue, le dialogue du zéniste est un trésor infini pour l'humanité. "

Wou-men, naquit à Hang-tcheou et il réalisa l’ illumination , voici la stance qu’ il fit à ce moment :

Un grondement de Tonnerre dans le ciel bleu et en plein jour.
La foule des hommes sur la terre ouvre ses yeux.
Tous les phénomènes de l’ univers se prosternent d’ un seul mouvement
Le Mont Sumeru gambade et danse une farabole


Il composa "Passe sans porte "

un choix de 48 kôan anciens.


Décédé à 78 ans en 1260.
Vers cette année-la le grand mystique allemand : Eckart, naissait).


Règle I / 48 . - LE CHIEN DE TCHAO-TCHEOU


Un moine demande au précepteur Tchao-tcheou « Le chien a-t-il aussi la Nature-de-Bouddha? » Tcheou lui répond : « Néant! »


Réflexions badines de Wou-men

Pour rechercher le Zen, vous devez franchir les pas­ses établies par les patriarches et les maîtres. Pour réaliser l'Illumination merveilleuse, il faut que vous alliez aux limites des passages de la conscience et les tranchiez. Sans franchir les passes établies par les patriarches, sans tran­cher les passages de la conscience, vous êtes tous des fantômes attachés aux herbes et aux arbres. Alors dites quelles sont les passes établies par les patriarches et les maîtres? Ce mot seul : « Néant ! », est la première passe de l'école du Zen. C'est pourquoi je donne à ce livre le titre de « Passe sans porte de l'école du Zen. » Ceux qui la franchissent et la dépassent rencontrent non seule­ment Tchao-tcheou lui-même, mais aussi tous les patriar­ches et tous les maîtres de l'histoire du Zen, avec lesquels ils marchent la main dans la main, voient les choses avec les mêmes yeux et les entendent avec les mêmes oreilles d'un même visage. Ne serait-ce pas une grande joie? N'y a-t-il pas quelqu'un qui veuille franchir la passe? Si oui, soulevez la masse de doutes de votre corps tout entier, avec ses trois cent soixante os et ses quatre-vingt-quatre mille pores et recherchez ce mot : » Néant ! » Portez-le constamment dans votre esprit, nuit et jour. Ne le prenez pas pour une simple vacuité. Ne le prenez pas pour une relativité d'être et de non-être. Ce serait comme avaler une boule de fer rouge; même si vous vouliez le rejeter, vous ne le pourriez pas. Epuisez vos fausses connaissances et fausses perceptions des années antérieures. Si vous arrivez à l'unicité naturelle entre intérieur et extérieur à la fin de la pratique purement mûrie pendant un temps assez long, vous pourrez en comprendre le sens. Vous ne le comprendrez que par vous-même, comme un muet qui rêve. De plus, en cas d'explosion soudaine, vous obtien­drez une si grande activité que vous pourrez étonner le ciel et la terre. Comme si vous pouviez arracher la grande épée au général Kouan (1) et l'ayant, vous tuiez le Boud­dha en le rencontrant et vous tuiez les patriarches en les rencontrant. Vous obtenez la grande liberté même au bord du précipice entre la vie et la mort et vous êtes en extase de jouissance pure, même dans le cycle des six Voies (2) et des quatre Naissances (3). Alors, comment porterez-vous ce problème dans votre esprit? En épuisant toute votre énergie habituelle, portez devant vos yeux ce mot :« Néant! » Si vous vous efforcez sans interruption, vous arriverez à l'Illumination, comme la lampe s'illumine au moment du contact. Voici mon poème :


La Nature-de-Bouddha dans le chien?
Proposition totale, ordre juste.
Si vous balancez même un instant entre être et non-être,
Vous perdrez votre vie.



Notes explicatives

Ce kôan de Tchao-tcheou (778-897) est le plus célèbre de l'école du Zen, car beaucoup de maîtres ont réalisé l'Eveil à l'aide de sa médition ardente. Tels sont : Wou­men lui-même, Bukkô [(1226-1286), maître chinois vivant à la fin de la dynastie des Song. Il vint au japon et fonda le monastère d'Engakuji à Kamakura. Je conseille au lecteur de se reporter au livre de M. Daisetz Teitaro Suzuki : «Essais sur le Bouddhisme Zen» (p. 324-327, pre­mière série), afin de le suivre sur le chemin de sa propre Illumination], et Hakuin [1689-1768), grand organisateur japonais de la méthode d'exercice des kôan. Tous les maîtres appartenant à l'école Lin-tsi au japon s'appuient encore aujourd'hui sur la méthode fondée par Hakuin].


D'abord, je citerai une partie de l'Orategama de Hakuin où vous trouverez le processus de méditation du mot « Néant !» de Tchao-tcheou et vous comprendrez par cet exemple le sens de chaque mot du commentaire de Wou-men.

« A dix-neuf ans, je (Hakuin) lus la « Louange de la religion authentique » où j'appris que le précepteur Yen­t'eou (828-887) fut tué par un brigand et que son cri s'entendit au-delà de trois li (un li équivaut à environ 600 mètres). L'ayant lue, je pensai : « Tout pénétrant que fût son cri, il ne put échapper au sabre du brigand. Hélas ! Même pour le précepteur Yen-t'eou - la licorne et le phénix parmi les moines, le crocodile et le dragon dans la mer du bouddhisme - il en est ainsi. Comment pour­rais-je échapper aux bâtons des démons de l'enfer après ma mort? S'il en est ainsi, à quoi la recherche du Zen et l'étude de la Voie servent-elles ? Le bouddhisme est tellement faux. Il est regrettable que j'aie fait partie de cette troupe diabolique. Comment dois-je faire mainte­nant? Ainsi j'étais plongé dans une grande angoisse et je ne mangeai pas de trois jours. J'abandonnai pour long­temps mon espérance dans le bouddhisme. Je regardais les statues du Bouddha et les livres sacrés comme s'ils avaient été de la boue. Je ne lisais que les livres mondains et je m'amusais dans la création poétique et la prose. Ainsi j'oubliais un peu mes peines. Plus tard, lorsque j'étais à Yo-shû, je lus les trois livres sacrés du Bouddha et j'examinai bien mes manquements. Je portais le mot « Néant ! » jour et nuit et ne me reposais jamais, même un seul instant. Je craignais seulement de ne pouvoir être pur, sans tache et « unifié en un », et aussi je craignais de ne pouvoir « être un » constamment, pendant l'éveil ou le sommeil. A vingt-quatre ans, au printemps, je me débattais dans la souffrance au monastère de Yegan, à Echigo. Je ne dormais ni jour ni nuit, j'oubliais à la fois de manger et de me reposer, quand, tout à coup, il se fit en moi une intense concentration de doutes. Je percevais une sensation d'extrême transparence comme si j'étais gelé à mort dans des couches de glace qui se seraient étendues sur des milliers de kilomètres. Je ne pouvais ni avancer ni me retirer. J'étais comme un être privé de raison, privé d'intelligence, et rien n'existait plus pour moi que le problème posé :« Néant! » Bien que j'assistasse aux sermons du maître, il me semblait que j'écoutais des discussions se tenant dans une salle exté­rieure et très lointaine ou encore que je les écoutais dans les airs. Plusieurs jours passèrent, j'étais toujours dans cet état, lorsqu'un soir la cloche d'un temple vibra qui renver­sa tout mon état mental. C'était comme le fracas d'un bloc de glace ou la chute d'une tour de jade. Quand je m'éveillai, j'étais moi-même le précepteur Yen-t'eou et, malgré les périodes de temps écoulées, celui-ci était tou­jours le même. Mes doutes antérieurs fondirent jusqu'au dernier comme de la glace. Je m'écriai à haute voix : « Quelle merveille' Quelle merveille ! Il n'y a plus ni naissance ni mort dont je doive me délivrer ! Il n'y a plus aucun Eveil (Bodhi) à poursuivre : Tous les kôan compliqués, traditionnels, au nombre de mille et sept cents, ne sont plus dignes qu'on s'en soucie! »

Il y a beaucoup d'autres exemples de la réalisation de l'Eveil sur l'ouïe d'un son, à la vue d'un paysage ou d'un mouvement du corps; mais le choc extérieur n'est pas absolument nécessaire pour aboutir à l'Eveil. L'essentiel est que l'exercice mûrisse purement, pendant un temps assez long, jusqu'à omettre le fond du « moi ». Voici un autre exemple tiré du « Fouet stimulant pour arriver au Zen ».

Le maître T'ie-chan Ngai (zéniste chinois de l'épo­que des Song) rapporte ceci : « A l'âge de treize ans, j'entendis parler du bouddhisme. Vers dix-huit ans je quittai la maison, et à vingt-deux je fus ordonné moine. J'allai d'abord à Che-chouang où j'appris que l'ermite Siang enseignait aux moines à contempler le bout de leur nez comme s'il était blanc et que cela les amenait à l'esprit pur. Plus tard, un moine apporta là, de chez Siue­yen, ses « Conseils sur l'exercice du Zen » que je copiai. Et je trouvai que ma méditation ne se développait pas selon le processus décrit dans cet ouvrage. J'allai donc auprès de Siue-yen et, suivant ses instructions, je m'exerçai exclusivement sur le mot « Néant !» de Tchao-tcheou. La quatrième nuit, tout mon corps fut trempé et mon esprit resta clair et lucide pendant un temps assez long. Même lorsque je retournais dans la salle, je ne conversais jamais avec les autres, me consacrant entièrement à l'exercice du Zen. Par la suite, je rencontrai le maître Kao-fong, qui me conseilla : « Qu'il n'y ait aucune inter­ruption dans ton exercice pendant les douze périodes du jour. Lève-toi au petit matin, cherche aussitôt ton kôan et tiens-le immédiatement devant toi. Quand tu sentiras la fatigue et que tu auras sommeil, lève-toi de ton siège et marche de long en large, mais même en marchant que ton kôan ne quitte pas ton esprit. Que tu sois en train de préparer ton siège ou de manger, ou occupé des affaires du monastère, ne manque jamais de tenir ton kôan devant toi. Si tu fais cela jour et nuit, tu seras unifié en un et il n'y a aucune personne qui ne découvre l'Eveil de cette manière. »Je poursuivis dans mon exercice selon ce conseil, et en effet, je parvins à l’ unification . Le 20 mars, Siue-yen monta en chaire : « Frères, quand vous avez sommeil sur les coussins, quittez votre siège, courez une fois, rincez-vous la bouche, lavez-vous le visage et les yeux à l'eau froide; puis retournez vous asseoir sur les coussins. Tenant votre colonne vertébrale droite comme le précipice, portez votre kôan exclusivement. Si vous con­tinuez ainsi votre effort, vous ne manquerez pas d'arriver à l'Illumination au cours d'une période de sept jours. C'est le moyen que j'ai employé déjà il y a quarante ans. » Je suivis donc son avis et trouvai que ma méditation avançait extraordinairement. Le deuxième jour, je ne pouvais fer­mer mes paupières, même si je le désirais; le troisième jour, il me semblait que je marchais dans la vacuité de l'espace; et le quatrième jour, toutes les affaires de ce monde cessèrent de me troubler. Cette nuit-là, je m'étais appuyé à la balustrade pour un moment, ma conscience s'évanouissait et je tombais en apathie. Quand j'examinai le kôan, il ne s'était pas perdu. Je retournai et me rassis sur le coussin, quand soudain je sentis que tout mon corps, de la tête aux pieds, était comme un crâne que l'on fend; il me semblait que j'avais été tiré du fond d'un puits profond de dix mille toises et tiré en l'air. 'Ma joie à ce moment-là ne connaissait pas de bornes.

Je racontai mon expérience à Siue-yen, mais celui-ci me dit :« Pas encore suffisant. Continue encore la médita­tion! » Lorsque je lui demandai ses instructions, il les termina ainsi :
« Si tu désires t'élever à la vérité suprême du Bouddha et des patriarches, un choc définitif te manque encore. Demande-toi en toi-même : comment un choc me manque-t-il encore? » Je ne pouvais croire ses paroles, et pourtant une ombre de doute s'insinuait dans mon esprit et je ne pouvais pas arriver à le résoudre. Je continuai mon exercice du Zen chaque jour me tenant comme une meule, pendant environ six autres mois. Un jour, j'avais mal à la tête et je me préparais un médicament, lorsque je vis un moine, nommé « Kio-le-nez-rouge », qui me demanda comment je comprenais le kôan du prince Nata (4). Je me souvins alors qu'un jour j'avais été interrogé sur le même sujet par l'hôtelier Wou, mais que je n'avais pu lui donner de réponse. Mais cette fois je brisai tout à coup cette masse de doute. Plus tard, j'allai auprès de Mong-chan, qui me demanda :« Dans la recherche du Zen, où as-tu atteint le point ultime en accom­plissant ton but? » En fin de compte, je ne sus que dire.
Chan me conseilla une fois encore de poursuivre la médi­tation concentrée et de me purifier totalement des pous­sières de la mondanité. Chaque fois que j'entrais dans sa cellule et essayais de dire un mot, il prononçait seule­ment :« Quelque chose manque! » Un jour, je commen­çai mon exercice du Zen à quatre heures environ de l'après-midi et continuai jusqu'à quatre heures du matin, et, à la force du pouvoir de concentration, j'atteignis un état subtil d'extase extrême. Lorsque j'en sortis, je vis Chan lui-même et lui en parlais. Il me demanda : « Quel est ton visage originel? v Et j'allais répondre lors­qu'il me ferma la porte au nez. Après cela, ma méditation avança chaque jour par des états mentaux magnifiques.
Bien qu'ayant quitté Siue-yen trop tôt, sans avoir pu accomplir la méditation minutieuse, maintenant j'avais pu parvenir à ces états présents, grâce à l'heureuse ren­contre de mon maître actuel. En vérité, si la méditation est faite dans un état suffisamment tendu et abrupt, les réalisations viennent fréquemment et un nouveau dépouil­lement se fait à chaque pas en avant. Un jour je vis sur le mur « L'Inscription de la Foi en l'Esprit », oeuvre du troisième patriarche :« Lorsqu'on retourne à la racine, on obtient le sens. Lorsqu'on suit la connaissance objective, on perd l'essence »; alors eut lieu un nouveau dépouillement, Chan dit : « L’ étude du Zen est pareil au polissage d’ une gemme ; plus la gemme est polie, plus elle brille; plus elle est clarifiée, plus elle est pure. Polis-toi de plus en plus! Cela surpasse les efforts accumulés pendant la longue période des autres vies. » Mais chaque fois que je tentais de prononcer un mot, le maître déclarait seulement : « Quel­que chose manque! » Un jour, pendant la concentration profonde, j'entrai soudain en contact intime avec ce « quelque chose qui manque ». Mon corps et mon esprit se sentirent librement détendus jusqu'au fond de mes os et de leur moelle. C'était comme si je voyais le soleil surgissant soudain à travers les nuages chargés de neige, et brillant avec éclat. Ne pouvant me contenir, je sautai de mon siège et je saisis Chan de mes mains en criant : « Que me manque-t-il encore?» Il me donna trois tapes et je m'inclinai trois fois. Chan dit : « O Tie-chan, pen­dant bien des années tu as cherché ceci. Aujourd'hui, enfin, tu as terminé. »

Wou-men loue dans son poème la réponse de Tchao-­tcheou qui est la proposition totale de la vérité du boud­dhisme et l'ordre juste pour anéantir notre ignorance. Mais dans ce but, comme les exemples de Hakuin et de T'ie-chan Ngai nous le montrent, il faut contempler ce mot «Néant » sans s'occuper de la dualité.


(1) Le général Kouan (Kouan Yu, de Chou) (?-219) vivait à l'épo­que des Trois-Rovaumes. Il était vendeur de fèves, mais en 184 il fit parti des troupes de Lieou Pei et devint un héros fameux. On dit de lui que : même parmi un million d'ennemis, il prit aisément la tête du général adverse avec sa grande épée comme s'il avait cherché le contenu d'un sac.
(2) Les six Voies, les mondes égarés où tous les êtres vivants transmigrent sans cesse : dieux, hommes. asuras (démon qui aime beaucoup la bataille), bêtes, trépassés faméliques et enfers.
(3) Les quatre Naissances. Il y a quatre sortes de naissances des êtres vivants : vivipare, ovipare, exsudative et métamorphique.
(4) Le prince Nata, déchirant sa chair la rendit à sa mère et, déchirant ses os, les rendit à son père, et alors, manifestant son propre corps originel, déployant ses pouvoirs miraculeux, prêcha la Loi pour le bien de ses parents.

lundi 11 juin 2007

Sseu' - Sin - pourquoi avoir choisi ce nomen ?















Sseu ' - Sin

Succession chronologique des Maîtres du Zen Chinois
Sseu' - Sin ( 1044 - 1115 ), suivant la règle suivante :

Règle 39. — YUN-MEN DIT : « TA PAROLE A FAILLI. »

Un moine demande à Yun-men :

« La Lumière éclaire tranquillement tous les mondes, nombreux comme les sables du Gange... » Avant que le moine ait terminé, Men dit à l'improviste : « Ne serait-elle pas la parole du bachelier Tchang-tchouo? » Le moine dit ; « Oui. » Yun-men dit : « Ta parole a failli. »

Après, Sseu’-sin fait la critique tortueuse : « Comment ce moine a-t-il failli en parole ? »

Réflexions badines de Wou-men

Si vous pouvez voir sur ce sujet l'action abrupte de Yun-men et la raison pour laquelle ce moine a failli en parole, vous serez à la hauteur de la charge du maître dans le monde humain et divin. Si vous ne le comprenez pas encore, vous ne pourrez pas vous sauver vous-même.Voici mon poème :

Yun-men tend sa ligne dans le torrent.
Celui qui mord à l'hameçon est pris.
A peine ouvrant la bouche,
II perd sa vie.

Notes explicatives

Tchang-tchouo était le disciple laïque de Che-chouang (v. Règle 46). Celui-ci lui demanda :
« Bachelier. Quel est ton nom? » — « Mon nom est Tchang et mon pré­nom tchouo (inhabileté). » — « L'habileté, même cher­chée, est impercevable. D'où vient l'inhabileté ? » Conduit par cette question, Tchang-tchouo a vu la vérité et fit une poésie.

La Lumière éclaire tranquillement tous les mondes, nombreux comme les sables du Gange. Tous les êtres vivants, saints ou ignorants, sont ma famille. Si une pensée ne surgit pas, le Tout paraît. Si même un instant les six organes des sens sont tourmentes, les nuages les interrompent. Si l'on tranche la passion, la maladie augmente encore. Même si l'on se diriges vers l'Ainsité (l), c'est aussi un tort. Je suis les conditions mondaines sans entrave. Le Nirvana et la naissance-et-mort sont égaux à des [mirages de fleurs.

Sseu-sin (1044-1115) rechercha le Zen sous la direc­tion de Houei-t'ang. Un jour celui-ci, montrant son poing, lui dit :« Si tu appelles cela le poing, tu le déter­mines déjà. Si tu n'appelles pas cela le poing, tu fais erreur. Alors dis-moi, comment l'appelles-tu? » Au commencement Sseu’-sin ne put rien faire, mais après avoir médité deux années il résolut ce problème et obtint une éloquence sans rivale. Mais son maître était las de cette éloquence; un jour, à la fin d'une discussion en­flammée le maître lui mit un frein :« Arrête ! Arrête ! Comment pourrais-tu rassasier autrui en lui donnant l'explication du repas par la parole? » Sseu’-sin dit doci­lement :
« Dans cette impasse mon arc se brise et mes flèches sont épuisées. Je vous prie, mon précepteur, de m'indiquer par miséricorde le lieu de la paix. » — « Lors­qu'un grain de poussière se lève, le ciel est couvert; lorsqu'une graine de sénevé tombe, la terre est cachée. Je déteste ardemment tes bibelots nombreux. Seulement pourvu que tu tu es tout ton esprit depuis les kalpa in­nombrables, tu pourras arriver au lieu de la paix. » Ecoutant cet enseignement, Sseu-sin sortit en courant et commença immédiatement la méditation plus ardente. Plus tard, Sseu-sin réalisa l'Illumination en écoutant le son du fouet dont le censeur frappa un convers. En courant, il vit le maître et dit :
« Tout le monde ne connaît que le Zen obtenu par la recherche ; le mien est le Zen obtenu par l'Illumination. » Le maître souriant l'admit.

La chose la plus importante pour le maître du Zen au cours de l'entretien est de sonder la profondeur spi­rituelle du demandeur : si celui-ci a déjà réalisé l'Eveil véritable; dans quelle ornière de la maladie mentale il est tombé ; ou quel problème il doit méditer pour se sauver d'elle etc. Il est très difficile de divulguer la cause de la maladie extraite de la couche profonde de la conscience.

Ce moine avait l'intention d'interroger Yun-men sur la signification de la poésie de Tchang-tchouo. Mais Yun-men a interrompu ses paroles pour sonder sa Connais­sance du Zen. Son activité est pareille à l'éclair ou à l'étincelle du silex. Si ce moine avait eu l'œil incisif, il aurait pu lui donner la réponse plus significative. Alors, lecteurs, comment répondriez-vous, si vous étiez ce moine?

Wou- men - kouan

(1) La théorie du Rien que Connaissance de Vasubandhu qui vécut en Inde 900 ans après la mort du Bouddha, explique comme suit : « L' Ainsité signifie le vrai qui est sans mensonge ou encore le per­manent qui est sans changement. »